jeudi 11 septembre 2014

Les Arméniens et moi

Autant le dire d'emblée, j'ai été un peu désarçonné par mes premiers contacts avec les habitants de l'Arménie. Habitué aux pays musulmans persanophones ou turcophones, je m'attendais à des rencontres similaires parce que l'aire géographique est la même vue de Roscoff. Il est vrai que baragouiner tadjik dans le Pamir m'ouvrait trois maisons s'il y en avait trois dans le hameau, et que je suis muet en arménien.
Je ne dis que Բարեւ, barev, bonjour !
En Arménie je suis entré dans une seule maison et j'ai mis les pieds sur deux terrasses. Cela n'empêche pas l'amabilité, chaque peuple a ses us et coutumes évidemment, et j'avoue que je n'ai jamais invité dans mon salon les adeptes du GR 34 qui passe devant chez moi.
Je dois préciser aussi que je n'ai pas rencontré un seul randonneur à pied pendant les quatre semaines de mes déambulations. Si un randonneur à pied est inhabituel, forcément on ne sait pas très bien comment l'accueillir. Il faut un temps d'adaptation réciproque. Je n'ai croisé que deux cyclistes néerlandais et deux allemands en camping-car qui se rendaient en Iran. En fait, le tourisme individuel est bien organisé à partir de Yérévan où vous pourrez réserver des visites à la journée vers les quatre coins du pays, puis rentrer en ville tous les soirs, mais il reste confidentiel en province.


A Yérévan, la capitale, seule grande ville du pays, l'ambiance est très décontractée, les avenues sont chaleureuses, et les citadins sont heureux. Les conversations sont faciles et spontanées dans une ville où il fait bon vivre. Les étrangers ont toute liberté de baguenauder, la police ne les a pas à l’œil sauf devant l'ambassade de France où j'ai dû détruire ma photo du drapeau tricolore flottant entre deux arbres, sans aucun bâtiment visible. Why ? It's my embassy, it's my flag !
Delete ! Delete !
J'ai beaucoup aimé Yérévan, une très belle ville dont je parlerai longuement à la fin du voyage.
A Yérévan pourtant, les garçons ne savent pas mieux s'habiller qu'en Iran avec leur chemises hyper-cintrées dont les boutons font des festons ou leurs tee-shirts collants à motifs cachemire noir et blanc, mais les filles ont une classe très étudiée et une allure impeccable. Les jupes sont certes courtes, c'est peu de le dire, mais c'est pour rallonger les jambes perchées sur leurs hauts talons. 




Evidemment, avec des talons pareils, le pied droit se pose à gauche, et le pied gauche à droite, la démarche est celle de Liu Wen. Elles ont le tort d'avoir à leur côté un copain normal dont l'allure rase-bitume s'accentue de dos sur des jambes atrophiées. Vous les voyez passer alors, elle aérienne et lui planté dans la terre... 


Ceux-là n'ont pas le look citadin, 
ce sont des sportifs nationaux, 
ils exhibent chacun une couleur du drapeau.


Les autres filles portent soit de petites ballerines extra-plates "sans drop" et elles marchent avec une négligence étudiée, soit de très grosses baskets aux couleurs exactes de leur t-shirt fluo, jaune acide, rose Bengale ou vert anisé. Elles projettent alors la couleur qui vous éclabousse. Le maquillage frôle la perfection, sourcils, yeux, lèvres dessinés par Tamara de Lempicka et teint lumineux à la Modigliani. La perfection aboutie, ce sont les cheveux toujours longs, toujours coiffés, toujours somptueux.

Dans les villages, la perplexité et la timidité font vite place à la bonhomie, quand j'arrive en souriant et annonce que je suis français. Seul promeneur pédestre pour toute l'Arménie, j'avais toujours l'impression d'être le premier extra-terrestre à débarquer de Mars tant je sentais les villageois intimidés et inquiets devant mon inaptitude linguistique. Da, da, ils parlaient anglais, mais tchout tchout (en russe) et l'expression "anglaise" se limitait à cela : чуть чуть, un tout petit peu. Mon faible vocabulaire russe, 30 mots tout au plus, devait permettre toutes les nuances, et puisque je dis Я не говорю по-русски, ia nié govoriou po-rousski, je ne parle pas russe, c'est bien que je parle russe, et les voilà partis à vitesse grand V dans cette langue...
J'avais compris à l'Inalco que les mots primordiaux sont les conjonctions, les prépositions et les locutions prépositives qui sont innombrables et rébarbatives à retenir. En russe, je sais dire où et ici. C'est peu, mais c'est vraiment très utile : где et здесь. 


 
Voici le pain lavache et le fromage.
Par chance, il y a quelques mots 
communs au persan et au russe ou à l'arménien. 
C'est le cas d'asphalte, vous l'avez retenu, 
mais aussi de fromage պանիր, پنیر , (panir), 
et de voiture, машина, ماشین (mâchine),
mots essentiels, vous en conviendrez.

En cette saison de récolte des pommes, des poires, des prunes, du raisin, des oignons et des concombres, j'ai souvent bénéficié de la générosité des villageois, vite rassurés par mon sourire et mes balbutiements.


 

Qui identifiera ces petits fruits mûrs en septembre 
qui ressemblent à des dattes avec un noyau, 
mais blanc cotonneux à l'intérieur ? 
Leur nom arménien ressemble à pèchèhatè.

Le seul endroit où je n'ai pas su dérider l'habitant, c'est le bourg. J'appelle bourg, ces petites villes de province, telles Yéqegnazor, Sissian, Kapan, Goris ou Sevan, qui n'ont pas l'élégance de la capitale, mais noient cependant le quidam dans l'anonymat. J'y mettais les pieds par intermittence pour donner des nouvelles par mail, prendre une douche et un lit réparateurs dans un hôtel, et je les quittais sans regrets. Pourtant j'y faisais aussi des rencontres conviviales, et hier je remerciais chaleureusement mes deux guides de Vahanavank !

Sylvie et Alice, Quentin, Mamlène
Valentin, Jean-Baptiste, Amélie
Gabrielle, Tanguy et Marie-Céleste avec Alice

J'avais préparé comme d'habitude les photos de ma famille qui sont un bon préambule à toute conversation, d'autant que cette année un bébé s'y était ajouté. Malheureusement, avec ses 90 ans, Mamlène faisait figure de jouvencelle face aux centenaires du Caucase, et Jean-Baptiste semble beaucoup trop jeune pour élever deux enfants. 
Alice, présente trois fois, est entre de bonnes mains, personne ne s'est fait de soucis pour elle.
Quentin intrigue et séduit avec son chapeau et sa barbe. 
Amélie, il fallait s'y attendre, focalise l'attention puisqu'elle est arménienne ici, comme elle fut tadjike dans le Pamir, puis kirghize dans les Monts Célestes : qui l'eut cru ? 
Merci, Amélie, mon intégration est acquise une fois de plus grâce à toi.


Un jeune couple, dans une jolie voiture, 
adepte de Facebook où il cherchera sa photo...

La technique de l'auto-stop nécessite une mise au point en Arménie. J'ai mis longtemps à comprendre que le pouce ne sert à rien. Je crois même que c'est un handicap. Les voitures et les camions, qui s'arrêtent pour vous, veulent le faire spontanément en toute liberté. Ne les y forcez surtout pas, ils le font de leur propre chef, et c'est ainsi que j'en ai profité. 

 
Le premier camion dans lequel je suis monté. 
Niet, non, pas de photo du chauffeur...


 Le second camion : je monte en grade !
Si personne ne s'arrête, quand il pleut (vous êtes trop mouillé) ou quand la côte est raide (la voiture ne redémarrera pas), il faut vous précipiter sur une voiture à l'arrêt. Il y a souvent des voitures à l'arrêt car leurs radiateurs exigent la projection d'un seau d'eau de façon intempestive et impérative. Bien sûr, ce ne sont pas d'impeccables voitures blanches aux vitres teintés, mais ce sont des véhicules qui roulent et même qui passent partout après le seau. Vous arrivez, quitte à accélérer le pas, sur une voiture à l'arrêt qui vient de recevoir son seau, et s'apprête à repartir, et vous demandez au conducteur pris au dépourvu de vous emmener cinq kilomètres plus loin. Il ne refuse jamais ! Il fera même un détour pour vous mener dans un bon coin où camper.

 
La technique du seau

Il y a quand même un inconvénient à rester trop longtemps dans un véhicule arménien... C'est la radio omniprésente qui vous assourdit des airs de la pop orientale à la sauce électrique. Ce genre s'appelle "rabiz" pour "rabotchnoy izkustvo" (art prolétarien). Un peu ça va, beaucoup c'est déjà trop... Même les arméniens s'en lassent, dit-on.


Un pays chrétien


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