mardi 23 septembre 2014

23 : Des colombes hors des cages






Au pied des falaises striées, les argousiers qui bordent le sentier sont devenus pour moi symboliques de mes pérégrinations après que je les ai découverts sur les hauteurs du Pamir, retrouvés sur les marchés de Bichkek, et reconnus ici, avec plaisir, sur ces rives du lac Sévan. Les fruits sont certainement  un bon stimulant, mais je ne vais pas les déguster. Ils sont petits et ne remplissent pas l'estomac quand on n'a pas la patience de les cueillir parmi les épines.


Aux abords des villages, les canalisations d'eau qui alimentent les maisons ménagent des entrées pour les champs auxquels elles servent de clôture le long des routes. Celles que voici ne fuyant pas, un épicier du prochain village auquel je voulais acheter de l'eau minérale va me conduire dans son potager pour remplir ma gourde à son puits. Dans son magasin, il avait admis que je ne veuille pas me charger d'une bonbonne de 5 litres.


Dans le village de Noradouz les maisons sont luxueuses et soignées, fières de leurs majestueux portails en fer forgé que je verrai exposés à la vente dans la banlieue de Yérévan. Je n'y suis pas entré, mais j'ai pu apercevoir leurs pelouses qui n'ont rien à envier au gazon anglais. Ici même, contre toute attente, je vais être invité à monter, pour quelques kilomètres, dans une luxueuse voiture blanche conduite par un très jeune homme qui imagine que je suis écrivain quand je mime être peintre. Il veut un livre.  Comme si mon sac servait de librairie ambulante...

Le monastère de Hayravank,
dont la construction a débuté au IXème siècle,
domine le lac du haut de sa presqu'île. 

 C'est le monastère des hommes-colombes !

En 1381, lors des conquêtes de Tamerlan, des milliers de captifs arméniens y ont été transformés en colombes grâce à une relique de la Sainte Croix.

Ce monastère a servi de décor à une scène
du film de Robert Guédiguian "Le voyage en Arménie".

 L'absidiole du chevet est un élément inhabituel
dans l'architecture arménienne.



La route qui mène à la ville de Sévan longe le lac sans préserver de sentier pour les piétons. Elle est couverte... d'asphalte, et empruntée par de nombreux camions. Au bout de quelques kilomètres, j'avise une voiture dont le moteur fait sa pause rafraîchissante, je la double sans éveiller l'intérêt spontané du chauffeur. 
Alors, sans complexes, je fais volte-face pour asséner : 
" Je suis français, je vais à Sévanavank ! " 
Le chauffeur a-t-il le choix ? Je crois que non, car je suis maintenant assis à l'arrière de sa voiture.
C'est comme ça à chaque voyage : au bout de quelques semaines, je prends de l'assurance, je crois être chez moi au bout du monde. Je ne sais si vous avez remarqué la subtilité de mon argument : non seulement je vais à Sévan, mais je précise bien "au monastère". Vous rappelez-vous que "vank" signifie "monastère" ?
Refuseriez-vous une place au pèlerin qui "souffre" sur le chemin du Tro Breiz ? Je ne suis pas un pèlerin, nous le savons, et j'ai quand même un peu honte de mes insinuations.

Le monastère Sévanavank est situé sur un promontoire.


Avant le monastère, j'ai quand même fait les 6 derniers kilomètres à pied. Pourtant, je vais être puni de ma paresse : le site n'a pas le charme que j'attendais après les séductions chaque fois renouvelées de toutes les églises où je vous ai menés. J'ai même fait part de cette désillusion par mail :

Avant-hier, au pied du monastère le plus réputé du pays, sur le lac Sévan qu'il domine, j'ai payé au prix fort ma petite bougie jaune effilée. Y règnent en effet les marchands du temple qui donnent des idées de grandeur aux aubergistes. 
Pour ajouter au malaise, le monastère, si bien situé, est le moins beau de tous ceux que je connais.
Pour ajouter au dépit, le séminaire moderne qui occupe, avec les gargotes, tout l'espace au pied du monastère, n'accepte pas les mendiants pouilleux et mal rasés tels que moi. Même après qu'ils ont allumé une bougie effilée ?
Pour ajouter à l'incertitude, les rives du lac sont pelées et longées de routes bruyantes sur des kilomètres.
Pour ajouter à l'urgence, il est déjà 17h30.
Vous voyez que tout concourt à pousser le pèlerin consommateur de bougies jaunes vers les gîtes tenus par les aubergistes gourmands. 

Peut-être suis-je trop radin, moi-même. Quand on me demande 15000 drams pour une chambre, je négocie le prix, c'est de bonne guerre. Sans un sourire de l'aubergiste, ni de son entourage, j'obtiens 3000 drams de réduction, ce qui est encore trop payé, je le sais par expérience.
Mais j'ai vue sur le lac et le ciel est dégagé. Je fais sécher ma tente sur la terrasse, j'ai un lit avec un oreiller, et une grosse araignée dans la douche que je ne dérangerai pas. Ce qui ne veut pas dire que je néglige la douche : rasage, savonnage, shampoing et lessive comme si la bête n'était pas là.
L'aubergiste va se venger : au matin, je n'aurai pas de petit-déjeuner, tout le monde dort à 8h, et je serai en cage bien cadenassée. Les cages sont faites pour s'échapper. 
J'ai pris leçon chez les colombes ce matin.
Je m'échappe.

 Sous ma fenêtre, le soir, les colombes.

Sous ma fenêtre, le matin, les colombes.

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