18 : Y'a des choux, y'a pas d'iode

Goris est une ville de 23.000 habitants, proche de la frontière avec le Haut-Qarabaq dont elle est pratiquement l'unique porte d'entrée. Cette proximité a stimulé le commerce et désenclavé cette région qui souffrait d'être située en périphérie du pays. Malheureusement pour moi, le temps est exécrable, humide et maussade, bouché sans perspective d'amélioration.
Je m'aperçois que le crachin roscovite, parfumé à l'iode et aux effluves de chou pourri, a un don éloquent pour vous mettre dans une ambiance vitale qui n'existe nulle part ailleurs.  

Le ciel de Goris est morne, je vais m'en échapper dès demain.

 Bien sûr, il y a des choux en Arménie !

Sous ce ciel, je vais être peu bavard aujourd'hui, et j'en profite pour argumenter sur l'orthographe des noms propres que je transcris de façon personnelle. Les arménophones me corrigeront.

- Traduit par "Jardin noir", le Qarabagh est transcrit officiellement Karabagh (ou même Karabakh), mais cela ne permet pas de prononcer son nom correctement. La prononciation est plus proche de Ralabar ! En phonétique internationale le son initial est assez proche du "R" dit parisien, et cette lettre se transcrit "Q" sans "U". Le "R" médian est bien un "R", dit dental, plus ou moins roulé, et très proche du "L". La syllabe finale qui signifie "jardin" en persan باغ se transcrit bâq à la française, version Inalco, ou bagh à l'anglaise plus couramment.    

- De même, la transcription française du nom de la capitale, écrite Erévan, trahit la prononciation. Elle est probablement issue, lettre par lettre, du nom en alphabet cyrillique Ереван. Il aurait fallu savoir que le "E" cyrillique initial se prononce "Yé". Les anglais n'ont pas fait cette faute en écrivant Yerevan. 
Je suis français et j'utilise les accents : Yérévan. Attention : sans nasaliser le "a" final ! 

L'église Sourp Grigor Loussavoritch, Saint Grégoire l'Illuminateur, est en cours de restauration. 

A Goris, les maisons traditionnelles en pierre grise sont agrémentées de balcons en bois sous auvent.

Sous mon coupe-vent imperméable, j'ai eu le courage d'aller traverser le village de Karahundj à 6 km de Goris. Les balcons de bois y ceinturent les maisons les plus soignées, dont la situation sur ce versant, face au sud, laisse présager un bon ensoleillement pour la vigne. Sauf aujourd'hui.

Le cimetière est disposé en amphithéâtre, cerné des cheminées de fées et des habitations troglodytes du "Vieux Goris".  Je vois s'effilocher la brume qui va et vient au-dessus de la ville, mais ne s'évanouit pas. A vrai dire, la photo, prise en un instant fugitif, est très optimiste.

Sous ce climat, les habitations troglodytes décrites par Xénophon au V ème siècle avant notre ère, me paraissent propices aux dermatoses fongiques, et j'ai renoncé à y installer ma tente hier. Je suis logé à l'hôtel Christy, que je recommande bien qu'il faille marchander le prix de la chambre, car "Goris est plus touristique que Sissian ou Kapan" me rétorque la "manager" appelée pour me séduire. Même quand il pleut ?

En tous cas, au XIX ème siècle, il n'y avait pas d'hôtel Christy, on vivait dans des demeures troglodytiques, et le réchauffement climatique n'inondait pas encore Goris. Je pense que c'était mieux.

Pendant mon déjeuner sur la plus haute tombe, ornée des portraits de deux jeunes gens d'à peine 20 ans dont je devine qu'ils sont frère et sœur, assis sur une dalle humide sous le crachin sans perspective, l'âme interrogative, je n'ai pas vraiment envie de rire. Une vache compatissante, habituée des lieux, tente de mettre une ambiance de corrida pour me donner du punch.
Elle me fait penser à "Mort dans l'après-midi" d'Hemingway, et ses efforts tombent à l'eau...
Le repas, œuf et pain fourni par l'hôtel ce matin, me requinque avec plus d'efficacité. L'hôtel Christy a du bon, finalement.

Regardez les bonbonnes de gaz sous le camion : en Arménie l'usage du GNV est très fréquent pour camions et voitures. Je ne sais si les stations compressent directement le gaz dans le réservoir de la voiture, mais en tous cas faire le plein m'a semblé très long.