vendredi 12 septembre 2014

12 : Jean-Baptiste m'attendait

Je traverse le village de Geganush, séduisant sur son versant ensoleillé, égayé de ses potagers, et aperçois l'église depuis la rive opposée. Elle m'était cachée au passage, mais de loin sa porte à double arcade, ses fenestrons et son clocheton me donnent des regrets...








Dans le creux de la vallée,
enfin de l'eau en abondance !





Voilà les pistes comme je les aime : aucune circulation si ce n'est quelques cavaliers, ni rocailleuse, ni détrempée, sous le soleil mais ombragée, sans ascension permanente, et surtout bien dessinée !



Pas de grande ascension spectaculaire effectivement, mais si je regarde derrière moi, le village de Geghanush, que j'ai quitté, semble niché dans la vallée bien plus bas.


Nous nous sommes croisés. Il a voulu m'inviter à déguster un café, mais il aurait fallu que je retourne sur mes pas de plusieurs kilomètres... Faire demi-tour n'est jamais un libre choix, j'ai décliné l'invitation.

A Chakaten, les belles maisons abandonnées

La surprise du jour, c'est une petite chapelle inattendue, non répertoriée sur les guides, non photographiée par les internautes, indiscernable sur la photo aérienne. La chapelle est ouverte pour moi seul comme si elle m'attendait. Je ne peux pas faire moins qu'allumer une bougie sous l'icône de St Jean-Baptiste qui m'y invite évidemment, et rallumer les deux bougies éteintes par le courant d'air.
Ceux qui l'ignoraient ont appris avec mes photos de famille qu'un de mes fils se prénomme Jean-Baptiste.




Le linge blanc suspendu dans l'encoignure est un voile à la disposition des femmes qui entrent dans la chapelle tête nue. Je verrai toujours les arméniennes se couvrir de leur étole à l'entrée des églises.


Mes méditations vont être interrompues par la survenue d'un trio en voiture.

Il y eut un mail pour ce trio :
Eh bien, avant hier, je commence : "Je suis français de France, blablabla" en russe, devant deux gars en treillis militaire et une femme brune sur la réserve.
Les gars, c’était la réserve en pire, ils avaient commencé par me snober, et fait leur signe de croix devant l'église. Mais une fois sortis, et vu ma bougie allumée que j'avais payée, les 60 drams sont bien là, ils étaient trop curieux et bien radoucis.
J'aurais pu y penser, c'était des russes de Russie déployés en Arménie.
(Je dirai ça moi aussi : francais de France déployé en Arménie, ça fait couleur locale, même si je ne sais dire que barev).
Eh bien, avant hier, les russes qui ont compris que j'avais pris un avion Paris-Yérévan et n'étais pas venu à pied, mangeais du lyophilisé, buvais dans les abreuvoirs, me lavais dans les ruisseaux, dormais sous la tente malgré les animaux (lesquels ?), m'ont donné un pain entier bien rassis et des noisettes fraîches qui ont fait plusieurs repas.
(Avion, c'est dans mon vocabulaire, ça s'écrit самолет, alors pourquoi je prononce samaliot ?)
La charmante brune avait beau dire, niet, niet, niet, il est fluet, il doit marcher droit sur la route, et par cette chaleur l'alcool envahit les méninges des gens un peu faibles (d'esprit ?), je trouvais qu'elle en faisait un peu trop, et des regards attendris en veux-tu en voilà, elle n'avait pas droit de vote sur ce cas là ! J'ai eu le verre de cognac arménien en main et honte ! j'ai bu une gorgée : niet, niet, niet, d'un coup !!! qu'il dit, le costaud baraqué dans son treillis. J'ai fait semblant de jeter le verre bu par dessus l'épaule, mais je ne sais s'ils ont lu Dostoievski et ils ont cru que j'en voulais un autre. J'ai dû rouler sous leur voiture pour qu'ils renoncent à me saouler !
Pourtant je savais dire tchout tchout...         

Le brandy arménien, fleuron des traditions nationales,
n'a plus le droit de s'appeler "cognac".



Cela aussi est une surprise : les nombreuses aires de pique-nique somptueuses au creux d'une vallée, là où il peut y avoir de l'eau. Tout est prévu : la fontaine, la table, les bancs, le toit, le barbecue et même la bouilloire et les gants. Ce fut l'occasion de prendre une décision : il fait trop chaud entre 14 et 16 heures pour marcher, il est trop long de préparer le dîner et monter la tente le soir avant la nuit, donc je vais prendre mon repas de la journée à 16h, je ferai ainsi une longue pause à partir de 15h pour "cuisiner", et je pourrai marcher jusqu'à 18h30 ou même 19h, puisqu'il ne fait nuit noire qu'à 20h, ce qui me laisse le temps de monter la tente, et de me laver les dents. 
Quelle organisation ! Cela va changer ma vie.
Décision prise, j'allume le feu sans devoir construire un foyer, et vous voyez, l'eau va bouillir en deux temps trois mouvements. J'ai renoncé depuis un moment à attendre les braises, je sais que la casserole va noircir sur les flammes, mais tant pis, ça va plus vite et j'ai un pochon solide pour l'isoler dans mon sac. Expérience kirghize oblige.
Au "goûter" : bœuf en gibelotte !



De loin, voici l'église de Shikahogh que je n'irai pas voir non plus. Le ciel menace, je dois chercher un coin discret pour ma tente. Ce sera sous ce bel arbre, et je me coucherai sec à temps.



Dans mon imaginaire les arbres sont probablement sacrés. 
Je prends conscience de la Fugacité, allongé sous leurs branches dont le feuillage n'aura plus jamais le même dessin. 
Au retour des "oasis" du Pamir, je peins, pour ma série "Ombres persanes", ceux sous lesquels je revis des instants. 
Ce soir, au pied de celui-ci, je récite les paroles de "Weak" :

Tell me I'm weak,
Tell me these promises are not mine to keep,
Tell me I'm ugly,
but tell me you love me,
Tell me you cannot go through this world without me.

Oh, I... I'm just a tree
My roots are with her
But my leaves are falling.
                       Asaf Avidan


Dis-moi que je suis fragile,
Dis-moi que ces promesses me sont étrangères,
Dis-moi que je suis laid,
Mais dis-moi que tu m'aimes,
Dis-moi qu'il est impensable de courir ce monde sans moi.

Oh, je.. je ne suis qu'un arbre,
mes racines sont avec elle,
mais mon feuillage s'envole.


Le voyage est le sujet de ce récit. En suis-je le thème ?
Si oui, est-ce inévitable ?
Répondez-moi.




  



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