mardi 16 septembre 2014

16 : 100 fois le dénivelé sur la distance




Il me faut un véhicule qui parte pour la ville de Goris et me dépose en cours de route à proximité du Vorotan. Je vais en remonter le cours depuis la frontière jusqu'à Tatev où je l'avais quitté le 8 septembre. J'ai repéré un village nommé Bardzravan, que personne ne connaît à l'hôtel, à partir duquel un sentier devrait me permettre de descendre dans les gorges. 

Premier défi : trouver un véhicule qui ne soit pas un taxi.
Second défi : trouver un chauffeur qui situe Bardzravan.
Troisième défi : connaître l'heure du départ. 

Hier, j'ai appris grâce à la réceptionniste qui a bien voulu interroger le portier, bien qu'il "existe des taxis", et grâce au portier qui a bien voulu questionner un quidam, alors que "oui, il existe des taxis", et grâce au quidam qui savait que les minibus démarraient d'une place où "abondaient les taxis", qu'il suffisait de franchir la rivière sur le pont. 
Pont, un mot que je connais : мост, qui est bien pratique, car j'aime la rivière, un mot que je connais : река, qui coule dans la vallée, un mot que je ne connais pas, où il y a de l'eau pour boire, des rives pour gambader, de l'herbe pour camper, des villages pour l'humanité, je vous l'ai déjà dit.
Vous voyez que mon vocabulaire russe n'est pas si nul que ça, d'autant que les mots, je sais les prononcer, et pas vous si vous dîtes péka pour la rivière, car c'est ryéka, et ce n'est pas mokt, c'est most.

Une fois défini le lieu du départ, et même son horaire, 9h, je craignais l'insistance des taxis qui coexistent là avec les minibus. Eh bien, j'avais tort, les chauffeurs de taxis sont arméniens, et par définition discrets et timides : une seule proposition, courtoise naturellement, et si c'est non, ça s'arrête là. Je n'ai plus qu'à attendre l'arrivée d'un minibus qu'un passager rencontré sur le trottoir empruntera lui aussi si j'ai bien compris. Oui, j'ai compris qu'il partait pour Goris, mais sans savoir dans quel véhicule. Pourtant ce n'est pas très difficile : un "minibousse", en arménien, c'est un микроавтобус en russe (micro-avtobousse). 
Le voilà, il apparaît et nous embarque, mon sac et moi. Le sac est dans le coffre.
Bingo : le chauffeur dit OK ! pour Bardzravan sans aucune hésitation, ce qui m'en bouche un coin.
Après 38 kilomètres pour 1000 drams (1,9 euros, prix réduit car je ne vais pas jusqu'à Goris), il va me déposer  à l'embranchement d'une toute petite route qui se transforme vite en piste dans les bois.  

La piste est bucolique, ombragée, fraîche, silencieuse, 
en pente douce, le rêve !






Aux abords de Bardzravan, le panorama est somptueux, 
vaste de ses perspectives et lumineux de ses foins fauchés.



Le village ne respire pas la prospérité, son église est en ruine, mais les habitants n'éludent pas mes questions, et un jeune homme va m'accompagner sur le premier kilomètre, jusqu'au sentier qui descend dans les gorges. 
Il est très alerte et souriant, mais "Pas de photo !"...
Il est très alerte et moi non : alourdi par mon sac sur ce sentier de gravier qui roule, en pente accentuée, je ne peux suivre son allure sans m'écrouler, et verser le sang de mon coude qui tache pantalon et chemise. C'est du sang rouge mais ne dramatisons pas, il n'y en a pas beaucoup. D'un autre côté, je ne crois pas que j'en ai beaucoup, je dois l'économiser. Je vais descendre au pas.




Depuis l'église jusqu'à la rivière, 
oui, je vais descendre au pas :
700 mètres sur 2 km de distance, 
soit une pente à 35%, 
à travers les bois, sous une pluie intermittente.    


Le fond de la vallée apparaît à gauche de la photo,
dans la direction que je vais suivre vers l'amont.




De petits canaux d'irrigation, à bon débit,
suivent les courbes de niveaux.




Me voilà en bas, sans autre chute, entier, sec
et satisfait de mon sort sous le soleil revenu.


Des vergers plus ou moins abandonnés 
m'offrent des pommes et du raisin.



Une passerelle que j'aurais dû franchir, pas pire que celles du Pamir. Au lieu de quoi, je suis passé à gué un peu plus haut, et j'ai atterri dans un fouillis de ronces qu'il a fallu hacher à l'Opinel. J'en suis sorti tout griffé au bout d'un quart d'heure. Pour me consoler, j'allume mon feu sur une plage de galets, dévore mon repas et remplis la thermos de thé. Plus loin, c'est la corvée de lessive dans les rochers.





Ma tente est illuminée d'une salve d'éclairs,
sous le fracas du tonnerre.
La pluie crépite encore une fois sur la toile, mais je dors.


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