vendredi 19 septembre 2014

19 bis : Suis-je un monastère ?

Dans le monastère de Noravank, les bougies s'achètent à l'entrée. Je ne déroge pas à mes habitudes, et choisis les plus petites, jaunes et effilées, qui me sont proposées partout. Dans ce site prestigieux le choix est plus large, bien sûr. Mes bougies sont modestes, car je ne suis qu'un va-nu-pieds, je ne peux le nier face aux arméniens qui ne portent pas de sandales. 
Trois cars sont garés sous le monastère, dont l'un véhicule des japonais qui n'ont pas l'idée de me photographier !
Sur l'esplanade, une jeune arménienne francophone s'extasie devant mon parcours et ma survie précaire. Non, non, ça va bien, je vous assure, mademoiselle, je mange, je bois, je dors, je marche un peu. Par jalousie, son fiancé interrompt la conversation qu'il ne suit pas.
J'ai l'intention de dormir sur place, et je vais y rester seul en fin d'après-midi, en ermite privilégié dans ce cadre exceptionnel redevenu paisible.  


L'église de la Sainte mère de Dieu date de 1335. Ses trois niveaux sont enrichis de sculptures, en particulier sur les deux tympans de la façade. Les marches qui permettent d'accéder au portail supérieur font la joie des spectateurs car la montée est facile, mais la descente est périlleuse : les audacieux qui sont montés semblent bien empotés à reculons et à quatre pattes.
Je suis monté évidemment.
Je suis fier évidemment.
Français de France, je suis descendu debout, en marche avant.




 Devinez-vous ce qui se cache derrière le rond noir central ?
Réponse dans quelques secondes.

Sur le même site, l'église Saint Jean-Baptiste est plus ancienne d'un siècle. Les deux tympans qui ornent là aussi le portail sont des chefs-d’œuvre de la statuaire arménienne.  

Sur le tympan supérieur, dans sa main gauche,
Dieu tient la tête d'Adam à qui le Saint-Esprit insuffle la vie. 
La crucifixion est représentée avec la Vierge et l'apôtre Jean.


Sur le tympan inférieur, une Vierge à l'Enfant se détache parmi des lettres entrelacées de motifs végétaux, vignes et fleurs. Deux saints, probablement Jean-Baptiste et Stéphane, ont le "regard fixe caractéristique des figures du Moyen-âge", selon le Docteur ès sciences historiques H. Melkonian.

Le monastère de Noravank, 
dans la solitude du soleil couchant.

Encore une fois, tonnerre et averse monstrueuse pendant la nuit. 
Au matin la tente est sèche.

 
Voilà la solution : c'est la cloche vue par dessous !

De monastère en monastère, me suis-je mué en pèlerin ?
Je n'en suis pas certain.

Le monastère survole le millénaire, il est intemporel. Ni d'hier, ni d'aujourd'hui, ni de demain, je vois bien que son essence est éternelle.
Le monastère est ancré. Il est le lieu. Le pèlerin sait que le lieu est sacré. Le lieu est désigné. Je vois bien que le monastère n'est pas amovible.
Le monastère est à la fois intemporel et ancré, c'est un prodige !

Je suis fugace, je passe un instant.
Je suis instable, je quitte le lieu.
Ma liberté et mon âme, si elles existent, négligent à la fois le temps et l'espace. Ni longévité, ni racines. Ni éternité, ni ancrage.
Sur la route des monastères, je suis fragile et fier, vulnérable et confiant, inquiet et insouciant, exténué et reposé, blessé et cicatrisé, égaré et abrité, incertain et assuré, défaitiste et enthousiaste, esseulé et multiplié.
Je ne suis pas un monastère. 
J'ai choisi l'illumination et l'obscurité, l'illusion et la réalité, la certitude et l'égarement.
L'imagination est imprévisible et ininterprétable.  Serait-elle libre ?
Non, je ne suis pas un monastère.


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