lundi 15 septembre 2014

15 : Garéguine, David, même combat

Je suis revenu en stop à Kapan, qui compte 46.000 habitants, et vais visiter la ville avec vous avant de reprendre mon balluchon.

Derrière la cathédrale, St Mesrop Machtots,
les 3214 mètres du mont Khustup 
où j'ai rencontré Garéguine Njdeh hier.
En regardant la photo, je suis éberlué.
Pourquoi ?
Toute la brume a disparu !




Après avoir visité trois monastères sans clergé, j'ai cru que l'Eglise arménienne souffrait d'une telle pénurie de vocations qu'il n'y avait plus aucun prêtre. Voici, à Kapan, le premier, rencontré aux abords de la nouvelle cathédrale.
l'Eglise arménienne est dirigée par le Patriarche suprême, "Catholicos de tous les arméniens". J'apprends ainsi que le mot grec καθολικός signifie « universel », et n'est pas l'apanage du Vatican.
Le Catholicos nomme les évêques parmi les moines voués au célibat. Quant aux futurs prêtres du clergé séculier, le séminaire arménien les entraîne à l'ascèse plus qu'aux débats théologiques, se contentant d'une lecture des textes sacrés en arménien littéral. Après quarante jours de jeûne, l'ordination est suivie d'un banquet pendant lequel l'épouse du prêtre reste yeux bandés, oreilles bouchées, et bouche fermée, pour symboliser sa discrétion vis-à-vis du sacerdoce de son mari. Les prêtres du clergé séculier peuvent, en effet, être mariés en premières noces.


 

Kapan est une petite ville attrayante, située sur la rivière Voghji sur l'affluent de laquelle les enfants aiment pêcher à la ligne de tout petits poissons. 


Les bâtiments administratifs et les immeubles de l'époque soviétique sont recouverts de tuf rose, devenu emblématique de l'architecture arménienne à laquelle il donne son cachet personnel. Souvent agrémentés de frises ou de bas-reliefs, ils ont des proportions harmonieuses et humaines, loin des canons de la rigidité stalinienne. L'Arménie a eu le mérite de préserver sa spécificité culturelle, architecturale et linguistique, au sein même de l'URSS.
  



Le tuf, rose, orangé, beige, brun est une pierre volcanique faite de cendres compressées, facile à travailler et inaltérable. 
Les immeubles ainsi recouverts gardent fière allure, sans vétusté, avec leurs porches, leurs arcades et leurs balcons.



Le long de la rivière, rive gauche, s'alignent sur pilotis des échoppes préfabriquées, parmi lesquelles je trouve un restaurant modeste. Parce que je ne comprends pas le choix qui m'est proposé pour le thé, la serveuse qui n'a pas le don d'explication, s'impatiente, et je me rabats sur un Fanta orange qu'il suffit de saisir dans le distributeur. Je suppose, après coup, qu'il fallait me décider entre thé bouillant et thé glacé. 
Arménien, langue universelle !




Les bâtiments administratifs modernes plus épurés utilisent toujours la pierre, mais l'associent volontiers aux matériaux modernes, verre et métal, qui devront s'adapter aux schémas traditionnels pour garder leur âme.

Orange et David Bek se tournent le dos.

C'est que David Bek, devenu un personnage d'épopée, de romans et de cinéma, est un nationaliste du XVIII ème qui sut s'affranchir des empires perse et ottoman et créer un petit état arménien autonome. La mondialisation l'indiffère, et je suis d'accord avec lui, la publicité pollue la photo... mais, malheureusement, témoigne mieux de notre monde que la statue.


Devant la banque, la photo d'un héros du Qarabagh.

Les entreprises occidentales, en particulier françaises, semblent se ruer sur le consommateur arménien : Orange a monopolisé tous les abris-bus du pays, et le Crédit Agricole a ouvert ses agences dans le moindre bourg. 

Dans cette ville, je vous ai entretenus d'une expérience traumatisante :
Au retour de mes voyages, votre question prioritaire est toujours gastronomique. Si j'étais un fin gourmet, ça se saurait. J'ai fait un effort, je suis entré comme chez moi dans le meilleur restaurant de Kapan.
Je lui dis, à la serveuse, que je veux dîner arménien, mais sans viande.
Elle me propose du poulet frit, il paraît que c'est prisé en Arménie, avec une demi-pomme de terre au fromage. Da ! je dis.
Catastrophe, elle me demande "Combien de poulets ?"
Quoi ?  Quoi ? Mais, non ! Pas même un seul poulet ! 
Vous me voyez avaler un poulet entier au dîner ?
Devant mon ébahissement, la perte de tout mon vocabulaire anglo-saxon, et surtout l'absence de chiffre précis pour le nombre de poulets, elle est allée chercher un convive un peu francophone qui m'a consolé : un seul poulet, oui un seul, ça ira, vous verrez, ça ira.
Da... je dis...
Je dis mais je reste perplexe, et j'attends sans grignoter et sans boire pour ingurgiter cet unique poulet l'estomac vide.
Vous auriez vu l'objet : un tout petit volatile écartelé et caramélisé dans le milieu de l'assiette !
Pour moi, nettoyer l'assiette restait problématique, car je dois voir ce que je mange, et là, c'était les réverbères neurasthéniques de la rue qui nous éclairaient : sans exagérer, il fallait tâtonner à l'aveuglette pour trouver cette petite bestiole. 
A la réflexion, je me suis dit qu'en arménien poulet signifie poussin... 










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