jeudi 4 septembre 2014

4 : Les sept herbes et le foin

L'avion qui me mène à Yérévan atterrira à 1h du matin. Comme à Téhéran, Douchanbé ou Bichkek, je vais débarquer en pleine nuit et attendre le jour dans l'aéroport.
Compatissants, mes voisins estiment que ce ne sera pas paradisiaque, et, ni une, ni deux, m'invitent à les accompagner dans l'appartement de son frère à elle.
Knarik et Bruno sont un couple franco-arménien qui vient passer dix jours dans le pays où elle est née. Elle a un sourire immense ! Pour moi, c'est une bénédiction, car les premiers pas dans un monde inconnu sont toujours les plus difficiles, et j'y vois un augure de bienvenue prometteur.


Dans ce grand appartement qui domine la cathédrale d'Yérévan, je bénéficie d'une chambre, d'une salle de bain et du petit-déjeuner le plus appétissant qui soit. Me séduit d'emblée le pain aux sept herbes du Caucase, le jingalov hat, car l'une des herbes est l'ortie ! Les autres peuvent être l'aneth, la ciboulette, l'oseille, le pissenlit, la coriandre, la feuille de betterave, le cresson... Cela fait neuf, mais à vrai dire j'ai compris que ce n'est pas la nature des herbes qui compte, c'est leur nombre : la recette en veut sept, pas plus.

 

Mes hôtes vont me confier à un chauffeur de taxi, qui doit se débrouiller pour trouver un minibus ou un taxi collectif. Celui-là me conduira dans le Siunik, la région que j'ai choisie.  

Rappelez-vous mon mail n°2 : 
Je vais m'y perdre, c'est sûr. Vous avez déjà entendu parler du Siunik, vous ?
C'est la province méridionale où je déambule.
Les noms propres, là-bas, c'est comme ça : énigmatique.
Si j'avais dit hier :  "Venez, venez avec moi, je pars pour le Siunik, vous adorerez !"
 je suis sûr que vous auriez mis un ? ou un bémol.
C'est ainsi pour les noms, on s'y perd, il faut s'y résigner.
La chaîne de montagne qui m'épuise se nomme Zanguezour, culmine à 3904 m au pic Kaputjugh. 
Et quand on l'écrit, c'est pire : Կապուտջուղ.
Vais-je lire ? Vais-je retenir ? Vais-je dire ? 
Questions existentielles ou question de survie ?

Et pour les sentiers ?
Ce sont les sentiers du... Siunik au pied du Kaputjugh ! Gagné !
Dans le Siunik, il y a presque partout des forêts de feuillus, c'est bucolique.
Oui, mais les photos satellite sont toujours prises au printemps, donc je sais ou commence le sentier, mais le sentier se perd sous les arbres et moi avec. Merci !
Dans le Siunik, il y a presque partout des vallées, j'aime bien les vallées, il y a de l'eau au fond pour boire, il y a un village pour l'humanité, il y a une direction définie pleine d'espoir.
Las ! Ce sont de courtes vallées...
Question : qu'en déduisez-vous ?
Réponse : que les rares sentiers visibles butent sur des culs-de-sac, au bout des courtes vallées. Y'a plus qu'à rebrousser chemin, ça n'avance pas.
(De cette dernière phrase, je déduis que les sentiers du Siunik sont... des chemins, c'est rassurant).
Bon, l'Arménie, c'est petit, plus petit que la Belgique, et plus petit que la Bretagne historique. Avec une boussole, cette fois j'en prends une, on doit pouvoir en sortir.
Non, pas sortir d'Arménie, les frontières sont déconseillées, quoiqu'il y ait des inadvertances, mais au moins sortir des forêts feuillues et des courtes vallées !

Apparemment ce n'est pas facile non plus de sortir d'Yérévan, mais il suffit d'être patient. Les voyages à pied ne sont pas des courses chronométrées occidentales, ce sont des cheminements orientés vers l'Orient.
Nous attendrons trois ou quatre heures que le taxi se remplisse. Le chauffeur est un conducteur de véhicule, il n'a pas la patience du pèlerin. Il peste de quart d'heure en quart d'heure, et va vouloir rattraper son retard. A le voir conduire son véhicule, je comprends vite que les limitations de vitesse sont les minima autorisés, et que les lignes blanches continues obligent à rouler du mauvais côté. C'est une révélation, mais ça me va, car je ne voudrais pas planter ma tente de nuit, et nous avons environ 200 km à parcourir. Il prend quand même le temps de marchander âprement des cageots et des cageots de tomates dont il finit par remplir son coffre à ras bord.




Arrivés à Sarnakunk, qui est un village déshérité sur le bord de la route, il n'a aucun scrupule à m'y abandonner à la nuit tombante. En fait, j'admets que ce n'est pas forcément de l'indifférence, c'est de l'incompréhension : je vis sur une autre planète, mes mœurs sont fantasques, je peux m'aventurer dans un village qui n'a aucune faculté d'accueil comme un zombie laissant son ombre derrière lui. Mais si c'est ça, il devrait manifester un peu de curiosité, non ? Moi, quand je vois des zombies sur la venelle devant ma fenêtre, j'ai envie de les prendre en photo...

 

Les bergers sont très perplexes quant à la possibilité d'ancrer ma tente sur leurs terres : c'est non, puis c'est oui, mais il y aurait un danger. Quel sorte de danger ? D'être égorgé puis inhumé. Cela, je l'ai déjà vécu en Iran, non pas l'égorgement, mais la menace, et je n'y crois pas. Par contre, que l'inhumation, avec une croix, soit prévue, ça donne une impression de vécu, et je vais dormir d'un seul œil dans ma tente, sur les foins, sans les étoiles.  

La voyez-vous, ma tente ?



 







2 commentaires:

  1. les galettes de pain sont appétissantes!
    Etait-il vraiment dangereux de dormir en tente?

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    1. Ni en Iran, ni au Tadjikistan, ni au Kirghizistan, ni en Arménie, je n'ai eu aucun souci la nuit : statistiquement il n'y a pas de danger. Cela n'empêche que je m'endors l'oreille aux aguets.

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