lundi 22 septembre 2014

22 : La mémoire dans la pierre



Suivre les rives du lac n'est pas possible pour les bipèdes qui ne sont pas des échassiers. Cela me rappelle le lac Issyk Koul en Kirghizie. Ce sont des pays où la population ne vit pas essentiellement de loisirs, et les sentiers de randonnées y seraient un luxe et un gaspillage.
La remontée des eaux a créé une pseudo-mangrove éphémère en asphyxiant la végétation littorale. Pour ne pas modifier l'équilibre biologique dont bénéficient les pêcheurs, les arbres morts doivent être abattus. Au centre de la première photo, sur la ligne d'horizon, vous distinguez une première barque de pêche.


 

Sur cette rive sud du lac, une forêt préserve la tranquillité des berges qu'elle éloigne de la route et des villages. Je comprends rapidement que mon expérience des culs-de-sac et ma faculté à rebrousser chemin sont un avantage pour parcourir le lacis des allées forestières : perpendiculaires aux berges, celles qui vont directement au lac sont rectilignes sans équivoque, alors que celles qui longent le lac à distance sont toujours en baïonnettes, butant sur les allées perpendiculaires. Vous avez compris que j'emprunte les baïonnettes. Devant chaque allée perpendiculaire, je dois tirer au sort : à droite ou à gauche ? Je tente de suivre le lac au plus près, mais il n'y a pas toujours d'allée dans ma direction, je dois faire demi-tour... 


Dans cette forêt déserte où alternent feuillus, conifères et buissons d'argousiers infranchissables, il y a de drôles de champignons, apparentés aux vesses, que je n'envisage pas une seconde de faire frire dans ma casserole.
Je rencontre deux ouvriers qui débroussaillent les berges et me font signe. C'est l'heure de la collation, et cela tombe bien pour moi, ils m'invitent dans leur roulotte. La collation n'est pas négligeable : deux grandes plâtrées de spaghetti parfumés et quelques petits morceaux de viande fumée compatibles avec mon gosier. S'y ajoutent des poivrons marinés optionnels, et un ou deux verres de vodka fortement conseillés. Je dis non, puis les voyant trinquer, je dis oui pour trinquer avec eux : il faut un minimum de savoir-vivre.
Oui, je suis victime d'une éducation très classique. Voyager, c'est bien souvent l'occasion de s'adapter à d'autres bienséances. Je voyage pour m'adapter, sauf devant les morceaux gras, je l'avoue.
Je quitte mes hôtes avec trois tomates, trois pommes, du fromage et du pain lavache. Grâce à la vodka, j'endosse, sans y penser, le sac alourdi.





Je suis bien perplexe devant les empreintes que je découvre sur le sol : si c'est un chien, cela m'inquiète terriblement, il est trois fois plus lourd que moi, sac compris.
J'oublie les deux lions qui sont loin et les trois loups de Spitakavor restés dans la montagne.
Les empreintes sont fraîches, est-ce un ours à votre avis ? Pendant quelques mètres, mon regard balaye plus consciencieusement les fourrés à droite et à gauche. Je suis seul. Oui, mais il y a quand même un quadrupède dans les parages !



A la sortie de la forêt, le lac est bordé d'une plage de sable gris.

Bien sûr, j'ai allumé l'une de ces petites bougies jaunes.
Dans les chapelles populaires, les chœurs sont souvent décorés
de reproductions d'icônes, de photos, de carrés brodés,
de fleurs artificielles.

Une chapelle domine la rive dans ce site célèbre pour ses khatchkars parfois millénaires. Je vous en avais promis la visite. En voici quelques exemples. Depuis 2010 les khatchkars figurent sur la liste du "patrimoine culturel immatériel de l'humanité". La plus grande concentration de khatchkars se trouvait au Nakhitchevan, province attribuée à l'Azerbaïdjan par le découpage soviétique des frontières. Elle a été détruite au bulldozer entre 1998 et 2005, malgré les protestations de l'Unesco, pour effacer toute trace d'implantation arménienne dans la région. Les destructions délibérées par l'armée azérie ont été filmées depuis la frontière iranienne, réduisant à néant les dénégations de Bakou.





Le site de Djolfa, au Nakhitchevan,
sur la rive nord de l'Araxe.
(photo d'archives)

La destruction filmée depuis la rive iranienne de l'Araxe en 2005.
(Les Bouddhas de Bâmiyân ont été détruits en 2001)


Les Arméniens continuent à sculpter des katchkars :

 Un chantier de taille de pierre à Areni.

Un atelier de sculpture de katchkars à Yérévan.

Quant à moi, je continue le tour du lac Sévan :


Les rameaux qu'elle porte vont servir à faire des balais.


La truite ichkhan, endémique du lac Sévan, est très appréciée. Sa pêche est réglementée. Sur les bords de la route, pour les vendre, les pêcheurs écartent les bras, en un geste codé, au passage des voitures.




Les barques de pêche sont maintenant métalliques.



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