samedi 6 septembre 2014

6 : Un élan vertical malgré l'obscurité

De retour au village d'Ishkhanasar, je remplis ma gourde avec délectation sous la fuite de l'abreuvoir. Si l'eau est bonne pour les troupeaux, pourquoi ne le serait-elle pas pour moi ? 
... Rassurez-vous, je vais patienter encore une heure après y voir mis une pastille magique.


Je croise un groupe d'hommes, et je suis invité pour le café par un menuisier-charpentier quand j'annonce que je suis français. Je vais vite réaliser que Француз (Frantsouz) est un sésame qui déclenche sourires, poignées de main, et conversations. Cette opinion favorable est due à la fois à nos présidents successifs qui sont venus planter des arbres au Mémorial du Génocide, en particulier à Jacques Chirac qui porte le même nom que l'une des provinces arméniennes (le marz de Chirak), et à Charles Aznavour qui s'est démené pour récolter des fonds lors du séisme de 1988 et représente l'Arménie auprès de l'ONU et de l'Unesco. Je les en remercie tous, même François Hollande, qui m'a précédé au printemps dernier, dont le conifère est encore riquiqui. Mais oui, c'est l'intention qui compte, il va peut-être grandir, ce serait là un succès à son actif !



Chez le charpentier, grésillent dans une poêle des boulettes de viande hachée qui m'inquiètent un peu. Je suis rassuré quand je comprends être invité pour une collation de pain et fromage qui me conviennent beaucoup mieux. 

 Je vous recommande l'hôtel Dina, au centre de Sissian

A la réflexion, je décide d'attendre que le temps soit au beau fixe pour retourner en montagne, je vais modifier mon périple et rejoindre la rivière Vorotan que j'essaierai de suivre au plus près dans ses gorges. Pour cela, je dois passer par la petite ville de Sissian, et je vais expérimenter un hôtel. Outre son hôtel, agréable et bon marché (7500 drams la nuit, petit-déjeuner compris, soit 14 euros : mais oui, c'est un guide de voyage à votre intention, ce blog), Sissian a deux atouts : une église et un musée. Une autre prise de conscience pour moi : le voyage en Arménie est un voyage culturel. Cela se confirmera quand j'aurai compris que les sentiers qui évitent l'asphalte, s'ils existent, conduisent toujours à des monastères. 

 
Les monastères sont souvent réduits à l'église qu'ils entouraient si les bâtiments conventuels ont disparu. C'est le cas à Sissian où la cathédrale, Sourp Grigor Loussarovitch, St Grégoire l'Illuminateur, bâtie en 580, est maintenant isolée sur son promontoire, accompagnée seulement par les tombes des victimes de la guerre du Qarabagh, ornées de leurs portraits gravés. 


Lorsque vous visitez une église arménienne pour la première fois, et c'est mon cas ici, vous êtes surpris par les proportions intérieures inhabituelles pour nous : la faible emprise au sol, et la grande hauteur du tambour et de la coupole créent un volume où l'élan vertical s'impose d'emblée, et symbolise concrètement le règne de la spiritualité. Cette impression visuelle, le gardien des lieux n'en profite pas, son œil gauche est opaque et l'autre cherche la lumière : je diagnostique un glaucome. 
Je le réjouis en achetant sa brochure : "Monastère consacré à la mémoire de la princesse Varazdoukhte". 
La princesse a-t-elle troublé mon esprit ? Je ne prends pas conscience des petites bougies jaunes qui vont bientôt rythmer mes visites.


Quant au musée, le billet d'entrée vous donne droit aux commentaires d'une jeune guide anglophone tout à fait charmante : les salles évoquent la vie quotidienne au siècle dernier, l'artisanat, l'Histoire. La visite se termine par toutes les guerres du XXème siècle qui n'ont pas épargné l'Arménie.  
Je fais là aussi bonne impression en remplissant d'éloges flatteurs le livre d'or, puis en traduisant à haute voix mon propos : high performing team !


Les abords du musée


Voici le mail du jour :
Chez les habitants, je fournis le thé, ce n'était pas prévu, mes réserves vont s'épuiser.
Ils ne boivent que du café.
J'ai eu la trouille de ma vie dans la cuisine du village miséreux, chez le menuisier, quand j'ai vu ce qui rissolait dans la poêle. Impossible de manger ça, et Yvon qui n'est pas là. C'est sa première fonction que j'ai oubliée dans les avantages du compagnonnage : ingurgiter.
Ouf, ce n'était pas pour moi, les boulettes de viande qui rissolaient. 
Dans la cuisine il y avait un réfrigérateur, un four, un lave-linge. Au dehors, l'aspect est modeste, mais l'intérieur révèle le confort, comme dans les villages iraniens.
Quand il meule, le menuisier envoie toutes les étincelles sur le pull acrylique de sa femme qui maintient la pièce. J'ai cru que j'allais devoir l'éteindre avec l'eau du thé.

 
Voyez les étincelles : je n'affabule pas !
 
Ils ont voulu m'offrir une sorte de brûle-parfum où l'on peut mettre plusieurs essences, ou, sans doute, du papier d'Arménie.

J'ai dû énumérer à foison des spassibo, bolchoi spassibo, большое спасибо, et des ia lioubliou, Я люблю, pour ne pas les fâcher. J'ai mimé, montré, sans me déshabiller complètement, que j'étais ascétique, et le sac déjà ventripotent. Ils ont compris.
A l'accueil de l'hôtel, je lui ai dit aussi ia lioubliou pour qu'elle comprenne que "j'aimais".
J'aimais quoi ? Elle ? L'hôtel ? Ma chambre ? Sissian ?
Je ne fais pas dans la nuance faute de vocabulaire.
Du coup elle a frappé à ma porte quand j'étais en boxer et ça l'a tétanisée, elle m'a parlé en me tournant le dos...
 

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